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Quelques instants de vie. VI

Publié le par GAB

Jeanne

 

                Toute en rondeur, elle semblait cependant fragile. Son corps incitait à la caresse. Dans les couloirs, elle allait légère le sourire aux lèvres. Toujours prête à exaucer le vœu de chacun.

                        En elle, fleurissait l’idée qu’elle avait toujours vingt ans. Sa plus belle année. Celle de la découverte de la vie, de l’amour. De ce pourquoi elle était là. C’était banal et pourtant si vrai. En elle, le souvenir de ses vingt ans. Une année à l’hiver glacial. Un anniversaire au creux du gel et de la neige. Malgré tout, de ce froid, elle n’en gardait rien.

                    Chaque jour, elle avançait avec le souvenir de cette année-là, et cela lui avait permis de tenir debout, d’être vivante, heureuse au milieu de ce qu’elle pensait être la désolation.

                      De la maison de retraite, elle en connaît tous les recoins. Elle doit être une des plus anciennes. Au début, ce n’était pas des pensionnaires dont elle s’occupait. Elle a commencé au bas de l’échelle. Les sols, elle les a tous récurés. C’est avec son chariot, son balai, sa serpillère, son seau qu’elle a arpenté tous ces étages. Rez-de- chaussée, premier, deuxième, ils ont tous connu la fermeté de son balai.

                Les sols, sous sa main, se faisaient dociles.

                Ce n’est qu’au bout de trois années, elle avait été patiente, qu’on lui a proposé de changer de statut. Les sols pouvaient se passer d’elle. Mais pas les pensionnaires. Ils s’étaient habitués à la voir passer chaque jour devant leur porte. A entendre le son de sa voix- cela lui arrivait de chantonner. Et ainsi, peu à peu, ils se mirent à l’attendre. On l’espérait.

                Elle n’a pas hésité. C’est aux vivants, même vieux, même séniles, qu’elle voulait proposer ce qu’elle pouvait offrir, son amour de la vie.

                Jeanne avec dévouement le leur donnait.

               Aujourd’hui, il y a l’animation musique au salon. Mais elle le sait, certains pensionnaires sont restés cloîtrés dans leur chambre. Cela la rend triste. Elle, elle n’aimerait pas s’y trouver enfermée. Elle ne le supporterait pas. Enfin c’est ce qu’elle pense.

             Elle va aller frapper à la porte de Monsieur Henri. Elle va lui dire de sortir de sa chambre. Elle aimerait qu’il le fasse. Il est trop triste ce vieil homme, triste et bougon. Elle aimerait en faire un autre homme. Lui redonner le sourire. Mais comment s’y prendre ?

  • - Monsieur Henri ne restez pas assis. Venez voir l’animation. Il y a du monde dans le salon. On chante aujourd’hui.

            Elle n’a pas voulu entendre sa réponse. Elle a compris qu’il ne sortirait pas. Demain elle va prendre le temps de lui parler.

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